Cet article a été écrit par Sophie Gillig dans Le Monde du 12 août 2014.
Cette communauté monothéiste, qui compte entre 100 000 et 600 000 personnes, est persécutée de longue date.
C’est l’une des cibles des djihadistes de l’Etat islamique (EI) en Irak : la communauté kurdophone des yézidis. Avec la prise de leur bastion, Sinjar, le 3 août, 35 000 yézidis ont dû fuir dans les montagnes, sans eau ni nourriture, sous une chaleur pouvant atteindre les 50 °C. Adorateurs du diable pour certains, païens pour d’autres, les membres de cette communauté sont persécutés depuis longtemps.
Qui sont les yézidis ?
Les yézidis sont une communauté kurdophone qui compte entre 100 000 et 600 000 personnes en Irak, selon les estimations. Ils font partie des populations les plus anciennes de la Mésopotamie, où leur croyance est apparue il y a plus de quatre mille ans. Leur principal lieu de culte est Lalech, dans le Kurdistan irakien, mais plusieurs milliers de yézidis habitent en Syrie, en Turquie, en Arménie et en Géorgie.
On compte d’importantes communautés en Europe, particulièrement en Allemagne, où vivent 40 000 yézidis.
Quelles sont leurs croyances ?
« Les yézidis ont enrichi leur religion par des apports coraniques et bibliques pour se camoufler des musulmans et des chrétiens afin de ne pas trop se faire remarquer », indique Frédéric Pichon, chercheur et spécialiste du Proche-Orient à l’université François-Rabelais de Tours. Le yézidisme est une religion monothéiste qui puise une partie de ses croyances dans le zoroastrisme, la religion de la Perse antique. Leur culte et leurs rituels se transmettent oralement, c’est pourquoi on ne devient pas yézidi, on naît yézidi.
Les fidèles de cette religion croient en un dieu unique, Xwede, qui fut assisté par sept anges lorsqu’il créa le monde, dont le plus important est Malek Taous, souvent représenté par un paon, symbole de diversité, de beauté et de pouvoir
.Comme pour les musulmans et les chrétiens, le bien et le mal occupent une place importante chez les yézidis. Présents dans le cœur des hommes, il ne tient qu’à eux de faire le bon choix.
Pourquoi sont-ils persécutés ?
Si les yézidis sont persécutés depuis la nuit des temps, c’est parce que les autres religions, que ce soit l’islam ou le christianisme, ont une interprétation erronée de leur culte. « En Irak et en Syrie, on les a pris pour des adorateurs du diable parce qu’ils ont fait une espèce de bricolage entre les deux religions du Livre, précise Frédéric Pichon. L’archange Malek Taous a ainsi faussement été pris pour le diable par les musulmans. Certaines pratiques et restrictions des yézidis peuvent paraître farfelues. Par exemple, les yézidis ne peuvent pas manger de laitue ou porter des vêtements bleus.
Ces pratiques ont contribué à créer une forme de mépris chez leurs voisins musulmans. « Les yézidis sont des adorateurs du feu, ce qui les fait apparaître comme des païens aux yeux des Syriens, complète Frédéric Pichon. L’islam n’a pas de considération pour cette religion, contrairement au christianisme et au <judaïsme, qui sont tolérés. »
Quelle est la situation actuelle des yézidis ?
« La situation des réfugiés yézidis est particulièrement dramatique. Des populations entières sont dans le plus grand dénuement, ceux du Sinjar risquent de disparaître. Certaines familles rencontrées à Zakho, près de la frontière turque, ont marché pendant trois ou quatre jours », raconte Sébastien de Courtois, journaliste indépendant et producteur à France Culture, qui se trouve actuellement à la frontière turco-syrienne. « La peur panique se lit encore dans leurs regards. Les scènes de carnage qu’ils racontent sont insoutenables. Les forces de l’EI s’acharnent contre eux. Ils veulent tous les assassiner », ajoute Sébastien de Courtois.
D’après Frédéric Pichon, l’Etat islamique applique à la lettre la doctrine de l’islam conquérant. « L’EI est dans une logique de régénération de l’islam, dans une volonté de purification de la religion comme l’étaient les “Born again Christian” , les atrocités en moins », précise-t-il.
« Le problème yézidi n’est pas un problème religieux, c’est une question de domination totalitaire, renchérit Jean-Pierre Filiu, professeur des universités à Sciences Po. Une fois que l’EI en aura fini avec les yézidis, il s’en prendra à une autre minorité. »
Ce n’est pas la première fois que les yézidis sont persécutés. En août 2007, quatre attentats-suicides simultanés coordonnés par Al-Qaida en Mésopotamie avaient causé la mort d’environ 400 personnes, représentant l’attentat le plus meurtrier depuis le 11 septembre 2001.
Le déclencheur d’un tel carnage ? Les terroristes n’avaient pas supporté qu’un jeune garçon yézidi tombe amoureux d’une jeune sunnite, selon M. Pichon.
En 2001, 900 Kurdes d’Irak, originaires des régions pétrolières de Mossoul et Kirkouk, alors sous le contrôle de Saddam Hussein, avaient fait naufrage à bord du navire East-Sea, au large de Fréjus, dans le Var : 70 % des naufragés étaient de confession yézidie et disaient subir des persécutions au quotidien à cause de leur religion.
PS : une précédente version faisait état de la fuite de 400 000 yézidis. Selon les sources recueillies sur place par l’envoyé spécial du Monde, Jacques Follorou, le chiffre est de 35 000.