Cet article a été publié le 8 Juillet 2015 et a été rédigé par Frédéric Delorca
En août 2014, des militants de Daech envahissaient la région kurde Yézidi de Shingal (Ar Sinjar) au nord de l’Irak. 5 000 hommes étaient exécutés et 7 000 femmes faites esclaves selon le Daily Mail du 14 octobre 2014.
A cette occasion l’opinion publique a découvert les Yézidis, une communauté kurde dont les croyances mêlent un vieux fond iranien à l’islam soufi.
Contrairement à ce qu’ont prétendu les musulmans orthodoxes qui les ont souvent persécutés, les Yezidis n’adorent pas Satan (Iblis) mais lui accordent du respect, ce qui est aussi le cas des soufis. Selon une tradition médiévale, Satan aurait refusé d’accepter la demande de Dieu faite aux anges de s’incliner devant Adam, car il n’acceptait de se prosterner que devant Dieu. Chez les soufis cela signifie qu’il faut être dévoué au point d’accepter.
La tradition Yézidi a été formée par le maître soufi Shaykh Adi, un missionnaire venu du Liban, qui vécut chez les Kurdes eu 12ème siècle. L’enseignement de ce missionnaire s’est greffé sur un vieux fond de zoroastrisme dissident qui habitait ces régions montagneuses. A l’époque ottomane, les Yezidi kurdes rackettaient les caravanes, et les opérations punitives menées par le pouvoir urbain se faisait au nom de l’orthodoxie musulmane. Mais de nombreux adversaires des Yezidi étaient eux-mêmes kurdes.
Au début du XXe siècle, les intellectuels laïques fondateurs du nationalisme kurde construisirent l’image d’une religion Yézidi « première religion originelle » du Kurdistan. Mais c’est un mythe. Aujourd’hui de nombreux restaurants, magasins etc dans le monde kurde portent le nom de Zoroastre ou du livre sacré « Avesta ». Dans les années 30, le journal nationaliste kurde Hawar des frères Bedir Khan présentait la religion des Yezidis à tort comme le zoroastrisme. Certes il y a des éléments iraniens chez les Yezidis et les Yaresan, comme le sacrifice du taureau tous les ans (qui fait penser au culte de Mithra), mais ils n’ont pas fait leurs les textes dualistes et ont cultivé une tradition orale plutôt monothéiste.
Les Yezidis estiment être les vrais descendants d’Adam. Outre le sacrifice du taureau, en rapport avec Mithra, ils prient face au soleil, ce qui est aussi lié au mithracisme. Leur mythe du héros vainqueur du serpent, propre à toutes les cultures indo-européennes, pourrait être lié à l’origine même de cet ensemble. Leur culte des sept mystère renvoie à l’heptade zoroastrienne : Ahura Mazda et les six Amasa Spantas. Les Yézidis, comme les druzes, croient en la réincarnation, ce qu’ils appellent « changer la chemise ». Ils vénèrent l’ange-paon Malak Tavus. Quatre aspects de leur heptade sont associés aux quatre éléments, et parfois aux archanges islamiques Gabriel, Michel, Israfel et Azrael. Deux autres sont liés à Shaykh Adi et à son successeur Shaykh Hasan.
Comme les Zoroastriens, les Yezidis pensent que le monde sera parfait après le lutte finale de la fin des temps, et qu’il n’y aura plus ni montagnes ni mers. Ils fêtent chaque saison : Navruz (Noruz) le 21 mars, mais pour eux le Nouvel an est le mercredi d’après ; la Fête de l’Assemblée, début octobre, qui est plus importante (et qui a pu correspondre à la fête de Mithra, elle même plus importante que Navruz avant les Achéménides). Ils voient le sacrifice du taureau après la création comme un acte positif (comme le font les Vedas en Inde), alors que les zoroastriens l’investissent d’une connotation négative (l’œuvre du mauvais dieu Ahriman), ce qui serait chez les Yezidi un reliquat du culte de Mithra antérieur au zoroastrisme. Pour eux bien et mal viennent d’une même source (à la différence du zoroastrisme, mais comme dans l’hérésie zurvaniste à l’époque sassanide).
Dans cet article, le chercheur canadien Richard Foltz explique pourquoi le PKK kurde a eu intérêt à cultiver l’équation fausse première religion kurde = Yézidi = zoroastrisme. Le néo-zoroastrisme est à la mode chez les Kurdes. Une statue de Zoroastre a été édifiée à Efrin en Syrie en avril 2014, mais le leader religieux local Yézidi Shekh Herto Haji Ismail s’est insurgé en indiquant que cela n’avait rien à voir avec leur culte. Cette récupération du zoroastrisme est aussi artificielle que celle opérée par les Pahlavis en Iran ou par les opposants au régime islamique. Les Kurdes sont sans doute, comme les Azeris un mélange d’Iraniens et de Mèdes, et peut-être d’autres éléments, mais qui n’ont rien à voir avec Zoroastre qui venait de l’Est de la Perse, même si celui-ci les a influencés.