Réfugiés: malheur aux malades

Publié par Réseau Diois Accueil le

« Les ennemis de l’intérieur », la chronique de Vincent Engel.

La crise des réfugiés est, comme toute situation humanitaire grave, d’une complexité terrible qui recèle des coins encore plus sombres, où l’absurde le dispute à l’ignoble. Il y a déjà, bien entendu, le commerce répugnant auquel se livrent les passeurs ; mais chez nous, l’administration, commandée par Mme Maggie De Block, déploie un zèle à l’encontre des réfugiés malades, zèle qui serait ridicule s’il n’était profondément inhumain, injuste et inefficace. Une des multiples absurdités de notre pays (mais que nous partageons sûrement avec d’autres), où l’on cherche à faire de fausses économies pour se donner l’impression d’agir…

Ce jeudi 1er octobre, Médecins du Monde, la Ligue des Droits de l’Homme, le Ciré et le Conseil national de l’Ordre des Médecins présentent le « Livre blanc sur l’autorisation de séjour pour raisons médicales », autorisation prévue dans l’article 9ter de la loi sur le séjour. Cet état des lieux, qui fait froid dans le dos, est sous-titré : « Pour une application de la loi respectueuse des droits humains des étrangers gravement malades ». Il dénonce la manière toujours plus mesquine, restrictive et inhumaine dont l’Office des Étrangers entend et applique cet article.

Le Livre blanc est disponible, à partir du 1er octobre, sur les sites de la Ligue des Droits de l’homme (Belgique), de Médecins du Monde (Belgique), et du Ciré. <p>

L’article 9ter

Cet article de la loi de décembre 1980 permet au ministre ou à son délégué d’autoriser le séjour d’un étranger qui souffre d’une malade grave à séjourner chez nous pour y être soigné, à partir du moment où son renvoi dans son pays d’origine mettrait sa vie en danger, parce qu’il « souffre d’une maladie dans un état tel qu’elle entraîne un risque réel pour sa vie ou son intégrité physique ou un risque réel de traitement inhumain ou dégradant lorsqu’il n’existe aucun traitement adéquat dans son pays d’origine ou dans un pays où il séjourne. » L’article est conforté par l’article 3 de la Convention européenne des Droits de l’Homme, qui interdit les traitements inhumains ou dégradants et qui ne prévoit aucune restriction. Mais l’administration n’a jamais hésité à se livrer à une appréciation du « risque réel », appréciation qui n’a cessé, ces dernières années, d’être plus restrictive. La notion de « gravité » est ainsi devenue une norme évaluée en termes strictement financiers. Sollicitée pour des arbitrages, la Cour européenne s’est rangée aux diktats des égoïsmes budgétaires et a statué « qu’il n’incombe pas aux États de pallier les différences socio-économiques et les disparités quant au niveau des soins ». Dans la foulée, elle a jugé qu’« une réduction significative de l’espérance de vie de l’étranger ne suffit à emporter une violation de l’article 3 », pas plus que la présence, auprès du malade, d’enfants en bas âge obligés d’assister, impuissants, à la dégradation inéluctable de la santé de leur parent.

Les chiffres sont clairs : en 2012, 14.027 demandes de régularisation médicale ont été examinées par l’Office des Étrangers, et 5.521 ont été acceptées ; en 2013, sur 9.010 décisions rendues, seules… 148 ont été approuvées ! En 2014, 496 personnes ont pu rester pour ces raisons, tandis que 9.242 voyaient leur demande rejetée. Et pour 2015, de janvier à juillet, seules 198 demandes ont été acceptées.

Au final, compte tenu de cette interprétation toujours plus restrictive de la loi, l’impératif humanitaire de prise en charge de la maladie devient tout juste un « droit à mourir » en Belgique (mais sans trop traîner, s’il vous plaît).

Des raisons budgétaires ?

Les auteurs de livre blanc l’affirment clairement : la charge financière que représente cette prise en charge de malades réfugiés ne met pas en péril notre sécurité sociale. Et plutôt que de faire de fausses économies là où la dignité humaine imposerait une autre attitude, il faudrait commencer par éviter la surconsommation et la surprescription de médicaments ; je suis allé déposer hier, à la pharmacie, un sac plein de médicaments périmés, retrouvés dans l’appartement de personnes âgées parties au home, avec souvent deux ou trois boîtes des mêmes produits, prescrits par des médecins qui ne vérifient même pas si la pharmacie de ses patients ne contient pas déjà ce qu’il est en train de prescrire.

Et même si nous devions être égoïstes, et seulement égoïstes, il nous faudrait préférer soigner ces personnes qui souffrent, le plus souvent, de maladies infectieuses et transmissibles : « Renvoyer des personnes avec des infections résistantes vers un autre pays, sans traitement efficace est à terme également dangereux pour nous, car un jour, ces infections feront leur retour dans notre pays », rappellent Bob Colebunders et Nathan Clumeck, auteurs de la préface du Livre blanc. Il faut être stupide pour croire que les nuages radioactifs et les maladies s’arrêtent à nos frontières, même si on suspend les accords de Schengen.

Ce ne sont ni les promesses d’aides sociales ni les espoirs de soins qui poussent aujourd’hui des milliers de réfugiés à tenter le tout pour le tout et à risquer leur vie pour gagner l’Europe : c’est la guerre qui sévit dans leur pays, guerre dont les gesticulations et l’impéritie occidentales sont les premières responsables, faut-il encore et toujours le rappeler.

Les méthodes de l’Office des Étrangers et de Mme De Block

Le Livre blanc épingle nombre de dysfonctionnements dans les pratiques de l’administration, qui ne fait en l’occurrence que répondre aux ordres de la ministre dont a déjà pu apprécier le sens de la mesure et de la nuance dans d’autres dossiers.

Parmi ceux-ci, notons :

  1. Un formalisme excessif dans l’analyse des conditions de recevabilité de la demande : un fonctionnaire ne peut-il pas imaginer qu’un réfugié, maîtrisant mal la langue, incapable de se payer un avocat, peut effectivement ne pas remettre un dossier impeccable d’un point de vue procédurier ? S’il est à ce point borné, je lui conseille d’écouter ce vieux sketch de Fernand Raynaud, « Le brassard ».
  2. L’appréciation trop stricte de la gravité de la maladie : comme évoqué plus haut, il serait dans notre propre intérêt de guérir ces maladies infectieuses qui peuvent, à terme, représenter un risque sanitaire majeur chez nous, comme dans le cas de la tuberculose qui revient en force et dont le traitement est de plus en plus difficile.
  3. L’analyse hâtive de la situation individuelle du demandeur et la motivation insuffisante des décisions de refus. Mme De Block trouve ainsi normal qu’un dossier médical soit évalué par un médecin sans pouvoir ausculter le malade, sur la seule base de documents. Accepterait-elle d’être soignée de la sorte, par un médecin aveugle (aveuglé par une administration ubuesque) ?
  4. La disponibilité des soins dans le pays d’origine : les fonctionnaires se basent, pour évaluer cette disponibilité, sur des chiffres globaux qui ne tiennent pas compte de la réalité du terrain. Que des médicaments aient été distribués dans certains pays ne veut pas dire qu’ils soient effectivement disponibles, et surtout qu’ils le soient dans toutes les régions. À cela, les cyniques répondront que « ce n’est pas de notre faute si ces pays sont désorganisés ; et si le malade a pu faire des milliers de kilomètres pour tenter d’abuser de notre bonté, il peut bien en faire quelques centaines dans son pays ».
  5. L’absence de débat contradictoire et l’ineffectivité du recours devant le Conseil du contentieux des étrangers : la décision de l’administration est, dans les faits, pour ainsi dire irrévocable.
  6. Le non-respect de la déontologie : faut-il le rappeler, le serment d’Hippocrate (et non celui d’hypocrite que semble prêter la ministre tous les matins) impose aux médecins de n’avoir d’autres priorités que le bien de leurs patients, et de préserver la vie. Ils ne peuvent devenir les auxiliaires d’une administration soucieuse de faire de fausses économies.

Un recueil désespérant

Au-delà du rappel de la loi et des principes, le Livre blanc reprend une série de cas vécus qui donnent froid dans le dos. Difficile d’imaginer que ces histoires se soient passées chez nous, qu’elles soient le fait d’individus mandatés pour œuvrer, en notre nom, au bon fonctionnement d’un État de droit respectueux des valeurs démocratiques et des traités, conventions et autres chartes des Droits humains dont notre pays est signataire. Quel crédit pouvons-nous encore accorder aux déclarations grandiloquentes des membres du gouvernement, invoquant ces droits et ces principes, quand une ministre les bafoue avec flegme et détermination sur notre territoire ?

Il est du devoir des médecins de s’opposer à ces pratiques et de refuser de collaborer. C’est ce que rappellent avec force ce Livre blanc et ses signataires. Mais il est de notre devoir de citoyen de les épauler dans ce refus et de faire savoir à nos mandataires que nous refusons de voir nos lois appliquées de manière aussi restrictive et inhumaine.

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